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jeu. 05 mars

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Loeve&Co

Key Hiraga, Paris 1964-1974

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Key Hiraga, Paris 1964-1974
Key Hiraga, Paris 1964-1974

Heure et lieu

05 mars 2020, 17:00 – 18 avr. 2020, 19:00

Loeve&Co, 15 Rue des Beaux Arts, Paris, France

À propos de l'événement

Les dessins et les tableaux de Key Hiraga non seulement ne laissent pas indifférent, mais happent littéralement le regard. S’ils peuvent être comparés, par éclats, à d’autres pratiques élaborées simultanément à Paris dans le milieu des années 1960 (songeons aux peintures de Maryan ou de Peter Saul, mais aussi aux sculptures de son compatriote Tetsumi Kudo), ils n’en demeurent pas moins singuliers, étranges même, introduisant dans l’art des préoccupations comme le transgenre ou le cyborg plusieurs décennies avant qu’elles n’y occupent une place centrale.

Qu’aurait pu peindre Key Hiraga, après Nagasaki, après Hiroshima? Son monde intérieur, frappé par ce traumatisme originel, cette vraie obscénité monstrueusement réelle, la folie atomique, témoigne des bouleversements de sa vision macroscopique, celle de l’homme dans son environnement terrestre et cosmique, autant que de celle, microcosmique, du corps contemporain, de ses mutations et de son inéluctable morcellement, contingentement à sa marchandisation.

Son auscultation lucide, visionnaire, maniaque et obsessionnelle des corps mutants témoigne du choc physiologique et civilisationnel qui a laissé tout le Japon mutique, puis s’épanouit autour de motifs essentiels, qu’une combinatoire addictive lui permet d’interroger à l’infini: la pilosité, le sperme, la croix, la fleur, le maquillage, l’œil, l’oreille… sont autant d'éléments d'identification dont la différence de signification ou d’usage, entre Japon et Occident, lui offre d’exprimer avec vigueur une sépulcrale inquiétude métaphysique, l’incertitude ontologique qui creuse en lui cette béance que la vie terrestre et ses limites échouent à combler.

Naturellement, l’obscénité saute littéralement aux yeux: parmi ces symboles, le phallus tient le premier rôle. Organe majeur d’une reproduction qu’il y a désormais tout lieu de redouter, il fixe ce processus de transformation, de mutation, de mue même, dans lequel le monde, l’homme, l’humain mais aussi plus spécifiquement le masculin, est alors engagé.

À étudier l’imagerie grinçante d’Hiraga, les relations homme-femme paraissent pour lui osciller entre l’hystérie mécanique et la frénésie libidinale, éclatant en une stridulante déflagration d’organes, de fleurs, de motifs et d’objets dont les personnages échouent à se protéger, malgré les meubles, parapluies ou condoms qu’ils érigent en écrans; leurs peaux, souvent constellées de pustules violettes (du dripping, en réalité) en portent les stigmates. 

Les jeux combinatoires à l’œuvre dans la peinture d’Hiraga, entre le masculin et le féminin notamment, lui permettent d’élaborer un vocabulaire visuel et thématique particulièrement riche, et sans équivalent dans l’art de cette époque, sauf peut-être souterrainement chez un artiste comme Pierre Molinier. Parfois, une créature dotée de seins porte un chapeau-melon. Beaucoup d’hommes, a contrario, se couvrent le chef d’un sein. Souvent, un homme revêt des porte-jarretelles. Dans plusieurs tableaux apparaît un personnage dual, avec une moitié de moustache; des spermatozoïdes jaillissent d’axopodes sortis d’on ne sait où…

Faisant pour la première fois l’objet d’une exposition spécifiques, les œuvres réalisées pendant qu’il demeurait à Paris, dans cette décennie à cheval entre les années soixante et soixante-dix, dont mai 1968 reste le point de déséquilibre, attestent qu’Hiraga y a élaboré alors un art totalement neuf, grimaçant et agressif, que certains ont qualifié de cyberpunk, décrit par le romancier Bruce Sterling comme «un bouillon de culture où les tortillements des chaînes génétiques s’imbriquent, et dont la gamme chromatique grinçante décuple le pouvoir d’irradiation. 

Partant d’une figuration primitiviste à la CoBRA, marquée par les expérimentations de Dubuffet, Hiraga a élaboré au début des années 1970 une version toute personnelle du Pop, méticuleuse jusqu’à la maniaquerie, chirurgicale jusqu’à la stridence. À chaque époque, les mêmes personnages, les mêmes postures, les mêmes scènes s’y rejouent, témoignant de leur importance capitale. On pourrait qualifier cette période parisienne, de 1964 à 1974, de «décennie écarquillée», tant Key Hiraga s’écartèle alors le regard, sans ciller, sur ce «cauchemar climatisé» qui finira, poussivement, par engendrer le monde dans lequel nous simulons de vivre.

Stéphane Corréard

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